Les répercussions d'une condamnation criminelle pour le professionnel

Les répercussions d'une condamnation criminelle pour le professionnel
01 fév

Les répercussions d'une condamnation criminelle pour le professionnel

Par Maude Léveillée, avocate 

Tel que plus amplement expliqué ci-après, une déclaration de culpabilité à l'égard d'un acte criminel peut, dans certains cas, avoir des impacts au niveau disciplinaire pour un professionnel dont la profession est encadrée par le Code des professions. Le membre d'une profession se doit d'être cohérent avec les valeurs et la mission de celle-ci.

Les professionnels assujettis au Code des professions

Au Québec, on compte 46 ordres professionnels qui réglementent la profession de plus de 385 000 membres.

Étant chargé de protéger le public, les responsabilités de l'ordre consistent notamment à assurer le contrôle de la compétence et de l'intégrité de leurs membres, surveiller l'exercice de la profession et mener des inspections professionnelles.

Le processus disciplinaire

Un syndic est nommé par l'ordre aux fins de traiter les plaintes émises par le public. Sur réception d'une plainte à l'égard d'un membre, le syndic amorce le processus disciplinaire en menant une enquête.

Au terme de cette enquête, s'il l'estime indiqué, le syndic déposera une plainte contre le membre devant le conseil de discipline.1

Le professionnel reconnu coupable d'une infraction criminelle

Le Code des professions prévoit expréssement le pouvoir du syndic de déposer une plainte devant le conseil de discipline si un tribunal canadien a déclaré le professionnel coupable d'avoir commis une infraction criminelle2.

Le contexte dans lequel l'infraction a été commise sera déterminant, en ce que l'analyse du conseil de discipline portera sur l'existence ou non d'un lien entre l'infraction criminelle et la profession exercée.

Certains ordres sont plus interventionnistes par rapport à ce type de situations en raison de la vulnérabilité des personnes avec qui leurs membres interagissent, par exemple les infirmières et infirmiers, les psychologues, les avocat(e)s, médecins et notaires.

À l'occasion de son analyse, le conseil de discipline devra s'assurer que la sécurité du public n'est pas compromise par l'appartenance du professionnel en question à la profession.

Le fardeau du syndic lorsqu'il dépose une plainte en vertu de 149.1 (1) du Code des professions

Les éléments à prouver par le syndic dans le cadre de sa plainte sont les suivants :

  1. Le membre de l'ordre a été reconnu coupable d'une infraction criminelle;
  2. Il existe un lien entre l'infraction commise et la profession;

Sur la preuve de ces deux éléments, la seule décision que doit rendre le conseil de discipline porte sur l’existence ou non d’un lien entre l’infraction et la profession.

S’il décide qu’il n’y a pas un tel lien, le processus s’arrête alors. Au contraire, s’il décide que l’infraction a un lien avec l’exercice de la profession, il pourra, s’il le juge approprié, imposer au professionnel une des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, soit une réprimande, amende, limitation ou suspension du droit d'exercer des activités professionnelles, radiation temporaire ou permanente du tableau de l'ordre, etc.

La défense du professionnel

Le dépôt par le syndic d'une copie du jugement condamnant le professionnel en vertu du Code criminel fait preuve devant le conseil de discipline de la perpétration de l’infraction et des faits qui y sont rapportés. En ce sens, le professionnel ne peut donc pas produire de défense pour nier sa culpabilité par rapport à ces actes.

Dans l'affaire Landry c. Avocats, le Tribunal des professions, en appel d'une décision du Comité de discipline du Barreau du Québec, précise que les instances qui ont juridiction pour entendre la contestation de la décision rendue par la Cour du Québec, chambre criminelle, sont la Cour supérieure et la Cour d'appel. Ce débat ne peut donc pas être entendu par le Comité de discipline et ce n'est pas ce qui doit faire l'objet de sa décision.

L'article 144 du Code des professions confère au professionnel un droit à une défense pleine et entière à l'encontre de l'infraction qui lui est reprochée dans la plainte. À la lecture de cet article, on pourrait penser que ce droit n'est pas respecté par l'article 149.1 (1).

Or, étant donné que la décision du conseil de discipline porte uniquement sur le lien entre l'infraction commise et l'exercice de la profession, il va de soi que les moyens de défense du professionnel doivent se rattacher à ce principe. En effet, il n'est pas de la juridiction du conseil de discipline de punir la personne pour l'infraction commise, ni de juger de la moralité de celle-ci.

Le lien avec la profession

Dans l'affaire Barreau c. Thivierge3  le syndic a démontré que l'avocat a été déclaré coupable à l'égard de chefs d'accusation en lien avec des gestes à caractère sexuels à l'endroit d'une mineure.

Après analyse, le conseil de discipline a rejeté la plainte du syndic, concluant à l'absence de lien entre les infractions commises par l'intimé et l'exercice de la profession d'avocat. Les motifs au soutien du rejet de la plainte reposent notamment sur le fait que l'avocat pratique exclusivement en droit des affaires, un domaine qui ne le met pas en contact avec des mineurs. En outre, il n'avait pas connue la victime dans le cadre de ses fonctions et les infractions n'ont pas eu lieu sur les lieux de son travail.

Le lien avec l’exercice de la profession dans le cas où l’infraction criminelle est commise dans la sphère de la vie privée du professionnel

La jurisprudence a clairement établi qu'une infraction criminelle commise dans la sphère de la vie privée du professionnel peut tout de même avoir un lien avec l’exercice de sa profession au sens de l'article 149.1 (1) du Code des professions.

Dans l'affaire J.D. c. Médecins (Ordre professionnel des)4, un omnipraticien a été trouvé coupable d’accusations criminelles d’attouchements sexuels et de grossière indécence à l’endroit d’une enfant âgée de moins de 14 ans commis sur plusieurs années. Les gestes reprochés n'avaient pas été commis dans le cadre d'une relation médecin/patient.

Le Tribunal des professions a confirmé la décision du Conseil de discipline des médecins concluant au lien avec l’exercice de la profession, au motif que les gestes posés portent atteinte à la confiance du public envers les médecins et que la nature de ces gestes exige une intervention afin de protéger le public.

Dans l’affaire David c. Infirmiers5 , le Tribunal des professions a confirmé la décision du Comité administratif imposant une radiation à un infirmier en application de l’article 55.1 du Code des professions. Cet infirmier avait été trouvé coupable de vol qualifié, d'usage d'arme à feu et d'abus de confiance au criminel.

Le Tribunal a confirmé l’existence du lien de rattachement entre les crimes commis et la profession d’infirmière et d’infirmier, étant d'avis que le vol qualifié constitue une infraction violente qui contredit l'essence de la profession d'infirmier, et que le comportement de l'infirmier fait douter qu'il possède les qualités requises par sa profession telles la compassion, la sollicitude et l'empathie. Finalement, le Tribunal invoque également dans ses motifs que les gestes posés affectent le lien de confiance entre l'infirmier et les personnes avec lesquelles il est appelé à être en relation sur le plan professionnel.

L'analyse des décisions susmentionnées démontre que ce type de plainte repose indubitablement sur une analyse contextuelle.

En espérant vous avoir éclairé sur ce processus disciplinaire prévu par le Code des professions, nous vous invitons à contacter notre étude pour de plus amples explications.
 

1Voir le site internet de l'Office des professions : http://www.opq.gouv.qc.ca/lois-et-reglements/

2 Code des professions, RLRQ c C-26, article 149.1. (1)

3 2015 QCCDBQ 036.

4 2010 QCTP 12.

5 1998 QCTP 1600